Courrier de Philippe Dubled, président du CP de l'Eglise Protestante Unie de Savoie au sujet de la loi "sur les séparatismes"

Église Protestante Unie de Savoie

Philippe DUBLED
Président du Conseil Presbytéral de l’EPUS
14, rue de la Banque
73000 CHAMBERY
06 99 08 90 45
Philippe.dubled@wanadoo.fr



Chambéry, le 16 mars 2021

Lettre ouverte à :


Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur de Savoie,

Mesdames les Députées et Messieurs les Députés de Savoie.

Mesdames et Messieurs les membres de l’Association cultuelle de l’Eglise Protestante unie de Savoie.



Mesdames, Messieurs,

La Fédération Protestante de France qui regroupe les Eglises protestantes dont fait partie l’Eglise protestante unie de Savoie s’inquiète et s’interroge sur les évolutions voulues par le gouvernement de la loi de 1905 qui régit principalement le fonctionnement des Eglises juives et protestantes.

Même si ce projet de loi a déjà été adopté en première lecture à l’assemblée nationale, mais, compte tenu des navettes entre elle et le sénat, il n’a pas encore un caractère définitif. Mais, quel que soit son avenir, au jour où vous recevrez cette lettre, j’estime utile de vous faire connaitre la position de notre Eglise à son sujet.

Il est bon en préambule de rappeler que le peuple protestant est viscéralement attaché aux grands principes de la République de liberté, d’égalité, de fraternité ainsi que celui de laïcité.

Si la France ne compte que peu de protestants du fait d’anciennes persécutions à leur encontre, ils sont majoritaires au sein de l’Europe et plus encore dans les pays de l’Europe du nord dont beaucoup n’ont dû leur essor historique qu’à la diaspora protestante résultant de ces persécutions.

Bien des grands principes, comme par exemple ceux de la laïcité et de l’instruction publique ont été initiés par les protestants. Notre constitution doit beaucoup au fonctionnement presbytéral et synodal de l’Eglise réformée.

Il semble important de communiquer dès aujourd'hui et largement au sujet du projet de loi, dit "Darmanin", "confortant le respect des principes de la République" (anciennement nommée "Loi sur le séparatisme") avant que ses effets pervers n’entrent en application.

A la base, cette loi avait pour principal objectif, certes louable, de lutter contre toutes les formes de séparatisme et principalement contre le projet politique du radicalisme islamique. Un de ses buts était aussi de rendre attrayante la loi de 1905 pour que les Musulmans s'y intègrent enfin ce qui était attendu et souhaité depuis longtemps de notre part.

Finalement, ce projet est devenu un fourre-tout qui souhaite, outre contrôler, voire supprimer l'enseignement à domicile, remanier et impacter avec violence le fonctionnement des associations de type loi 1905, c'est-à-dire les associations dont le seul objet statutaire est "l'exercice du culte", comme la nôtre. Elle impactera aussi, mais de façon moindre, le fonctionnement des associations de la Loi de 1901 dont beaucoup sont issues du protestantisme et de ses valeurs de solidarité en gérant de multiples établissements d’enseignement, de soins, de solidarité et d’entraide.

Les Protestants, réformés et évangéliques, fonctionnent dans le cadre d’environ 3500 des associations cultuelles de la Loi 1905 sur les 5000 que compte la France.

A contrario, les Musulmans ne sont quasiment pas régis ou impliqués par la Loi 1905, et il faudrait justement les inviter à y entrer, par esprit d'égalité, ce que malheureusement ne fait pas cette loi. Je dirais qu'elle agit plutôt comme un repoussoir.

Les Catholiques eux, ne représentent qu’une centaine d’associations cultuelles diocésaines, et ne sont donc que très peu concernés.

Le constat est simple à comprendre : les protestants réformés et évangéliques ainsi que les juifs, en tout 4% de la population française, mais, plus de 80 % des associations cultuelles, sont les plus concernés par cette loi, qui entend tout revoir, tout contrôler, comme si nous étions les plus dangereux pour une République que nous avons de tout temps appelée, soutenue et défendue.

Quatre points principaux focalisent les critiques et inquiétudes de la Fédération Protestante de France :

1- La loi veut subordonner le versement de subventions publiques à une association 1901 au "respect de la sauvegarde de l'ordre public" et à la signature d'une charte.
Dans une première et rapide lecture, il n’y a rien à redire sauf que si un jour, par exemple, l'aide aux migrants devenait une forme d'engagement requalifié de "délit" en "trouble à l'ordre public" qu’adviendrait-il des populations secourues ?

Qu’en sera-t-il de la déclaration du Conseil d’État qui a déjà stipulé que la solidarité ne pouvait être considérée comme un "délit", car c'est un acte de fraternité (cf. notre devise nationale).

Mais, qu'en sera-t-il plus tard, avec d'autres responsables politiques ?

Par cette loi, les collectivités seront en capacité de supprimer les subventions pour les associations qu'elles jugeront un peu trop « solidaires » ou dérangeantes, et même exiger des remboursements avec la mise en cause des dirigeants.

La boîte de Pandore sera grande ouverte...

2- Les services fiscaux :
Jusqu'à présent, les associations cultuelles sont tenues de communiquer chaque année un récapitulatif global du montant des dons et du nombre de reçus délivrés, sans donner l'identité des donateurs. En cas de contrôle d’une personne, c’est à elle individuellement de justifier à l’administration la nature du don fait et non à l’association de communiquer aux services fiscaux la liste de ses donateurs.

Mais avec cette loi, les services fiscaux… ou d’autres… pourront contrôler et avoir accès à la liste des membres donateurs nominativement, liste pourtant tenue secrète dans un fichier que nous ne transmettons à personne au nom de la liberté individuelle et d'une discrétion normale.

Cela rappelle le souvenir abject du fichage des juifs dans la période qui a précédé la dernière guerre avec les conséquences innommables que tous connaissent.

A ce sujet, une personne qui a fait un don à une Association Cultuelle reçoit un reçu fiscal, puis a tout à fait le droit de ne pas le déclarer aux impôts, au nom de sa liberté. L'Etat n'a donc pas pour nous à savoir qui donne aux associations cultuelles, d'autant qu'on croit comprendre qu'en ce moment, le gouvernement a un peu trop tendance à faire des listes avec des noms… ou des idées... Va-t-il bientôt ajouter la religion ? Revenir sur le secret des noms des donateurs aux associations cultuelles est une atteinte manifeste à la liberté de conscience et de culte de chacun des membres. Ces principes de liberté et sécurité ont pourtant été durement acquis par les protestants mais plus encore par le peuple juif de France

3- L’obligation de renouveler une déclaration en tant qu'association cultuelle auprès de la Préfecture tous les cinq ans.

Selon la Loi, il faudra tous les cinq ans, prouver l'aspect cultuel de nos activités qui seront passées au tamis d'une liste de critères décidés plus par le politique que par la Loi. Ainsi, un préfet rendu très pointilleux pourrait remettre en cause ce côté cultuel, retirant le bénéfice des dispositifs fiscaux, pour de mauvais motifs que lui jugerait bons. La loi confierait cette responsabilité non au judicaire indépendant, mais aux préfets relevant de l’exécutif, et cela au mépris des principes juridiques de la France.

Il est d’ailleurs bon de se souvenir qu’en 2007 alors qu’un tel contrôle existait, ce sont les préfets qui ont demandé l'arrêt de cette déclaration, arguant du peu de personnel disponible pour éplucher les dossiers, et du côté inutile d'une telle contrainte. Pourquoi donc y revenir ? Quel est le motif caché d’une telle demande si ce n’est d’avoir un pouvoir discrétionnaire sur les associations cultuelles.

Tout cela va-t-il vraiment réduire le terrorisme, but recherché par cette loi ?

4- Les associations cultuelles recevant des dons de l'étranger (+ de 10 000 €), même s'il s'agit de petites paroisses, auront l'obligation coûteuse de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes pendant six ans, sous peine de pénalisation du responsable de l'association. Mais par un hasard étonnant, les associations 1901 ne sont pas concernées par cet article, comme si les associations sportives et artistiques ne touchaient aucune subvention de l'étranger ! N'y a-t-il pas là encore une stigmatisation des associations cultuelles ? Des protestants ? Des juifs ?

De plus les associations gérant le culte musulman et accusées de recevoir de fonds de l’étranger ne relèvent même pas actuellement de la Loi de 1905.

Il apparait évident que l’état, au mépris des lois existantes réglant la séparation des églises et de l’état, ainsi même que de l’article 1 de la constitution, semble vouloir réprimer le libre exercice des cultes.

Et qu’en sera-t-il de la loi concordataire qui régit le fonctionnement des églises d’Alsace-Moselle dont le fonctionnement relève des lois allemandes de 1871 auxquelles les alsaciens-mosellans sont viscéralement attachés ?

En voulant s'attaquer à ceux qui provoquent vraiment l'ordre républicain, l’état n’implique dans sa lutte liberticide que les protestants, les évangéliques et les juifs.

J'aimerais juste vous citer la première phrase de la première partie du projet de loi, qui, je trouve, donne bien la tonalité, celle d'une suspicion généralisée : " Les associations qui assurent cet exercice [du culte] et les lieux de culte qu'elles gèrent sont le théâtre de tensions et de dérives qui mettent en péril la sauvegarde de l'ordre public."

Ce préambule est à l’opposé de ce que notre église attend d’un état républicain.

Pour qui réfléchit un peu, il est certain que cette loi n'empêchera ni les attentats, ni les dérives sectaires. Elle va juste ajouter des contraintes à celles et ceux qui respectent les "valeurs républicaines", en les contrôlant davantage, et en leurs donnant encore plus d'obligations et de dossiers administratifs à remplir régulièrement, à diaboliser les musulmans, le tout dans un esprit de suspicion permanente et de stigmatisation.

Parler voiles, burkinis ou autres, sans rechercher les fondements de nos problèmes qualifiés à tort de religieux alors qu’ils sont nés en fait du mépris, de la peur de l’autre et de la guerre est la meilleure façon de faire diversion face à cette loi liberticide.

Il convient, croyants ou non de rester vigilants.

Nous ne pouvons rester soumis à une loi injuste et je conclurai en rappelant ce qui est écrit sur le fronton de nos temples : « Aimez-vous les uns les autres », et respectez-vous, et, par ce qui est écrit sur le fronton de la Synagogue de la Paix à Strasbourg : « Plus fort que le glaive est mon esprit », et je vous laisse méditer sur ce rappel historique, après plus de 30 ans passées dans la tour de Constance à Aigues-Mortes ou elle avait été incarcérée en tant que religionnaire, Marie Durand a résumé ce qui sera toujours notre position en gravant dans la pierre de sa geôle le mot « Recister ».

Je vous remercie de votre attention, et vous adresse à toutes et tous mes plus fraternelles salutations.

Philippe DUBLED,
Président du Conseil Presbytéral
De l’Eglise Protestante Unie de Savoie.

Commentaires

  1. Cher Monsieur Dubled,
    J'aimerais simplement vous dire mon approbation totale de la teneur de votre réaction à un projet de loi dont les motivations sont pour le moins troubles et les conséquences potentielles désastreuses!
    Très cordialement,
    Charles Scheel
    Professeur de littérature comparée à l'Université des Antilles
    Campus de Schoelcher en Martinique

    PS Je précise que je suis tombé sur la page EPUS lors d'une recherche généalogique sur mes ancêtres maternels Duchêne (ou Du Chesne), huguenots de Savoie, qui avaient quitté Les Echelles entre 1600 et 1654 pour se réfugier d'abord à Metz puis à Ludweiler, en Sarre, où s'était constituée une communauté réformée autour de "L'église des Français", à quelques encablures de la frontière. S'il reste des Duchêne protestants en Savoie, c'est très volontiers que j'échangerai avec eux.

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